Les insectes, une nouvelle frontière des matériaux biosourcés durables
Dans un contexte de recherche de solutions durables et d’économie circulaire, les insectes émergent comme une source innovante de matériaux biosourcés. Longtemps négligés, ces organismes arthropodes présentent pourtant des propriétés physiques, chimiques et biologiques offrant des perspectives prometteuses pour le secteur du bâtiment, de l’emballage, ou encore des biotechnologies. Le recours aux insectes pour la production de matériaux biodégradables, renouvelables et à faible empreinte carbone redéfinit notre manière de penser la production et la consommation des ressources.
Le chitosane : un biopolymère issu des insectes
Parmi les biomatériaux extraits des insectes, le chitosane est l’un des plus étudiés. Dérivé de la chitine, substance présente dans l’exosquelette des insectes comme les coléoptères ou les criquets, le chitosane est un polymère naturel biodégradable, non toxique et aux propriétés antibactériennes reconnues. Traditionnellement produit à partir de crustacés, il peut désormais être obtenu à partir de déchets d’élevage d’insectes, comme les larves de la Hermetia illucens (mouche soldat noire).
Ses applications sont nombreuses :
- Films d’emballage alimentaire compostables
- Revêtements antimicrobiens pour surfaces ou textiles
- Supports de culture en médecine régénérative
- Additifs dans les bétons bioactifs
Utiliser le chitosane issu des insectes permet de valoriser les déchets d’élevages tout en réduisant la pression sur les ressources marines, offrant ainsi une solution circulaire et durable.
Biodégradation et circularité : des avantages environnementaux uniques
Un des principaux arguments en faveur des matériaux biosourcés à base d’insectes réside dans leur capacité à se biodégrader naturellement, sans nuisance pour l’environnement. Lorsque les plastiques issus de la pétrochimie mettent plusieurs centaines d’années à se décomposer, les biopolymères d’origine insecte peuvent se dégrader en quelques semaines dans des conditions normales de compostage industriel ou domestique.
Cette capacité à boucler le cycle de vie de manière écologique et responsable est particulièrement intéressante dans les domaines tels que l’emballage, l’agriculture et même la construction.
Applications potentielles des matériaux issus des insectes dans le bâtiment
Le secteur du bâtiment est responsable d’environ 40 % des émissions de CO₂ mondiales. Face à cette réalité, il devient crucial d’intégrer des matériaux alternatifs, plus respectueux de l’environnement. Les fibres et polymères issus d’insectes représentent une piste intéressante, notamment dans les domaines suivants :
- Isolation thermique et acoustique : les fibres produites par certaines espèces, comme les soies d’insectes, présentent de bonnes performances thermiques. Elles peuvent être traitées et incorporées dans des panneaux composites ou des revêtements isolants.
- Matériaux de finition : enduits et revêtements contenant du chitosane offrent une résistance accrue aux moisissures et peuvent remplacer certains produits chimiques nocifs.
- Impression 3D de composants biosourcés : les bioplastiques à base d’insectes sont en cours d’expérimentation pour créer des composants personnalisés via l’impression additive.
Ces applications s’inscrivent dans une logique de neutralité carbone adaptée à l’architecture durable.
Insectes et économie circulaire : vers une industrie régénérative
L’élevage des insectes, en particulier celui de la mouche soldat noire et des vers de farine, présente un intérêt systémique dans une logique d’économie circulaire. Ces espèces peuvent être nourries à partir de biodéchets (restes alimentaires, déchets agro-industriels) et, à leur tour, transformer ces déchets en protéines, lipides et biomatériaux. Les résidus de ces élevages, incluant les exuvies (mues) et les carcasses, sont ensuite valorisables comme matière première pour la fabrication de films, mousses ou fibres biosourcés.
Cette approche fermée et optimisée de la biomasse représente un levier efficace pour réduire l’impact environnemental global de la filière des matériaux. Elle entre pleinement dans la stratégie européenne de transition vers une bioéconomie durable.
Perspectives en recherche et développement
Les recherches en biotechnologie des insectes sont en plein essor, notamment dans les laboratoires de bio-ingénierie et de science des matériaux. Voici quelques axes de développement prometteurs :
- Optimisation des chaînes de transformation du chitosane et des lipoprotéines des insectes pour une production à grande échelle industrielle
- Amélioration génétique des espèces élevées pour favoriser certains traits utiles, comme la richesse en chitine ou la vitesse de croissance
- Association de biomatériaux d’origine insecte à d’autres composants naturels tels que les fibres végétales (chanvre, lin) pour produire des matériaux composites ultras légers
- Exploration des propriétés mécaniques fines des matériaux issus d’insectes pour intégrer des domaines de niche, comme l’aéronautique ou la robotique souple
Acceptabilité sociale et défis réglementaires
Si le potentiel des matériaux issus des insectes est réel, leur adoption massive pose encore certaines questions. L’acceptabilité sociale, notamment pour des usages dans l’alimentaire ou l’architecture intérieure, demeure fragile. Beaucoup de consommateurs restent méfiants face aux produits d’origine insecte, perçus comme marginaux ou peu sûrs.
Les cadres réglementaires, eux aussi, restent à construire. En Europe, les insectes bénéficient depuis peu d’un statut d’ingrédient alimentaire légal, mais leur emploi comme base de matériaux dans le BTP ou l’agro-industrie nécessite des certifications chimiques et biologiques strictes encore en cours d’élaboration.
Cependant, les start-ups et entreprises du secteur investissent dans la recherche, le design éthique et la communication pour lever ces freins.
Vers une filière structurée des matériaux biosourcés à base d’insectes
La structuration d’une filière industrielle stable est la clé pour soutenir le développement des matériaux issus des insectes. Cela passera par :
- La mise en place d’infrastructures de production à grande échelle
- Des partenariats avec le secteur du recyclage et de l’agroalimentaire pour sécuriser les intrants
- Une stratégie de normalisation et de certification environnementale claire
- Des incitations publiques (réglementations vertes, exonérations fiscales, labels) pour encourager leur usage dans la construction ou l’emballage
Grâce à ces leviers, les insectes peuvent jouer un rôle central dans la transition écologique en fournissant des matériaux biosourcés alternatifs, performants et durables.
Une réponse concrète à la crise climatique et matérielle
En définitive, l’utilisation des insectes comme matière première pour la fabrication de matériaux biosourcés durables ouvre la voie à une double révolution. Écologique, d’abord, en réduisant l’usage des ressources fossiles et en promouvant des produits biodégradables ; économique, ensuite, en créant de nouvelles chaînes de valeur locales et circulaires.
Ce champ d’innovation, à la croisée de la biotechnologie, de l’écoconception et de l’économie circulaire, mérite toute l’attention des entreprises, chercheurs, architectes et consommateurs en quête de résilience et de durabilité. Le potentiel est immense, et il ne fait que commencer à être exploité.